Discours de Mme Le Maire lors de la cérémonie du 8 mai 2021

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La COVID 19 a bouleversé le quotidien de nos vies depuis plus d’un an. Ce virus plus agressif que les autres a emporté des vies plus tôt que prévu. Nous ne savons pas encore ce qu’il va engendrer demain, après-demain. Pour l’instant, les dérèglements en tout genre semblent bien présents, mais soyons optimiste, on m’a toujours dit que le temps arrange toujours les choses… mais autrement !

Nous voilà réunis, nous les élus de la République, mais pas comme toutes les années, car vous, Coaraziennes et Coaraziennes ne pouvez pas être là – contraintes réglementaires obligent – devant le monument aux morts de Coaraze pour fêter la Victoire et rendre hommage aux victimes de la guerre de 40 !

De près ou de loin, fêtons la victoire du 8 mai 1945.
Victoire sur la barbarie ! Victoire sur la folie des hommes! Victoire sur l’oppression programmée d’êtres humains sur d’autres êtres humains.
Honorons ceux qui l’ont gagnée avec courage, avec détermination : les alliés, les résistants, les forces françaises libres constituées de nombreux combattants d’Outre-mer, les Républicains espagnols, les gens d’en bas, sensés, qui ont agi dans leur quotidien pour faire reculer la barbarie.
N’oublions pas les souffrances endurées par cette génération qui a été sacrifiée pour nous, pour que nous puissions vivre libres.

Nous sommes ici pour rendre un hommage appuyé à celles et ceux qui ont perdu le temps de  leur jeunesse dans ces années sombres de la guerre de 40, qui ont sacrifié leur vie de famille, qui ont laissé leur propre vie ou qui sont revenus massacrés dans leur corps et dans leur âme pour que nous, nous puissions vivre en paix ; un hommage aux familles de ces combattants qui ont souffert de l’angoisse de la mort pour leur proche.

Nous sommes ici pour ranimer et conserver la mémoire de leur sacrifice ; pour que nous n’oubliions pas l’horreur d’une guerre que beaucoup d’entre nous (ceux du baby boom… et les plus jeunes) n’avons pas vécue ; pour que nous soyons vigilants, par respect pour eux, à toute atteinte à la liberté ; pour que nous puissions anticiper et combattre à l’heure actuelle toute tentative d’hégémonie d’un peuple sur un autre, d’une religion sur une autre ; pour que nous gardions dans notre esprit que tout homme qui ne respecte pas l’autre, quel qu’il soit, fait un affront à son intelligence et engendre une source de violence.

Nous sommes ici pour ne pas oublier l’horreur d’une guerre ouverte, massive, où la population civile de toute nationalité, vieillards, femmes enfants ont souffert de la faim, de la peur, de l’humiliation, de l’exode ; une guerre totale, mondiale, imposée par un homme obnubilé par un pouvoir morbide de vie et de mort sur ses semblables en se croyant investi d’une mission « divine », « construire un grand Reich germanique», en éliminant toutes celles et tous ceux qui n’entraient pas dans les normes qu’il avait lui-même établies.

Nous sommes ici pour préserver le droit à la différence, lutter contre le racisme et la xénophobie, préserver les principes de la République, protéger la démocratie, respecter ceux qui l’ont fait avant nous et qui en sont morts.

Nous sommes ici pour garder en tête que notre raison, notre réflexion, notre esprit critique, notre humanité, notre sagesse nous préservent d’une telle dérive. N’oublions pas que l’histoire peut bégayer et que tout retour aux heures sombres peut s’enclencher rapidement.

Nous sommes ici pour prendre conscience qu’aucun pays n’est à l’abri d’une guerre, forcément différente, adaptée à notre siècle, mondialisée, qui peut prendre d’autres noms comme le terrorisme. Car l’homme peut être assez fou pour la justifier au nom d’un dictateur en mission divine, d’un dieu, d’un intérêt économique, d’un parti politique, d’un nouvel ordre mondial…

L’homme n’est que ce qu’il est, avec ses grandeurs et ses faiblesses.
Côté face il est capable de solidarité, de générosité, de grandeur, d’inventivité, de création extraordinaire, côté pile il peut être pire qu’un animal sauvage.
Il a été capable de penser et d’instaurer la République avec ses valeurs fondamentales « liberté – égalité – fraternité », faisons en sorte de ne pas les oublier par respect pour celles et ceux qui sont morts pour elles, pour les prisonniers restés cinq ans enfermés, pour les internés des camps de concentration, pour les blessés à vie, pour les familles meurtries, pour ceux qui ont risqué leur vie en cachant des personnes, pour celles ceux qui ont enfreint, au péril de leur vie, les ordres des occupants et des autorités françaises qui s’y étaient soumises.

Nous sommes ici aussi pour rappeler le rôle essentiel des femmes dans ce conflit,
– des femmes discrètes dans leur héroïsme, qui ne réclameront ni honneur ni médaille, et pourtant « mortes pour la France », entrainées à la modestie par des siècles de morale masculine. Elles ne devaient pas militer, elles ne disposaient pas de leur corps, elles étaient considérées comme mineures toute leur vie sous la domination de leur père puis de leur mari et elles n’avaient pas le droit de voter ! Elles ne l’obtiendront  qu’en 1944.
– des mères, femmes courageuses, qui ont dû assumer seules la survie quotidienne : faire la queue pour avoir du pain, du lait, du charbon, maintenir l’éducation de leur progéniture et vivre dans l’angoisse permanente des nouvelles de leur mari, de leur frère.
– des réfugiées espagnoles, des Allemandes fuyant Hitler, des femmes communistes, des juives, toutes internées lors des premières purges intérieures dans des conditions déplorables.
– des femmes fuyant l’avancée des troupes allemandes, parties sur les routes avec l’incertitude de conserver leur vie et celles de leurs  enfants et  de leurs parents.
– des femmes résistantes qui se sont engagées dans les réseaux, parfois armes à la main, torturées et exécutées par la gestapo. Dans notre vallée, elles ont fait partie du groupe Surcouf. Leurs noms sont peu ou pas connus : madame Jotté-Latouche alias Emilie / madame Cavenago dite Poucette / Suzanne Frappier dite Simone / mademoiselle France Langlois alias mademoiselle Heurtel / madame Denès dite Alziary / Lise Buffard / France Massiéra, coarazienne / Mireille Guyon et tant d’autres qui ont agi dans l’ombre et la discrétion.
– des femmes utilisées comme espionnes, chargées de prendre des renseignements sur les projets des ennemis.
– des femmes violées par les soldats.
– des déportées, femmes mises à l’index séparées de leur enfant, humiliées et tuées dans les camps de concentration.

Après la guerre, toutes celles qui ont  survécu sont rentrées dans leur foyer et ont repris le cour normal ou presque de leur vie, avec l’absence de leurs proches ou la présence d’un mari meurtri dans sa chair et dans sa tête. Mais elles auront au fond  de leur conscience, et pour certaines dans l’action militante, le germe d’une émancipation en marche.

Et maintenant !
76 ans après ! Qu’avons-nous fait de cette victoire ? de ces sacrifices ? de ce courage et cette abnégation des combattants, sur le front ou de l’ombre ? Qu’avons- nous fait de cet engagement libre et solide de toutes ces héroïnes et héros, anonymes ou pas, qui ont défendu la liberté face au despotisme et à la barbarie ?
L’Homme est il devenu plus raisonnable ? A-t-il compris que la soif de pouvoir – pouvoir politique, pouvoir religieux, pouvoir de l’argent, pouvoir de la consommation, pouvoir du toujours plus – ne peut se satisfaire que dans la haine, le conflit, l’inhumanité, la violence et la mort.
Où en sont les politiques publiques, elles qui sont censées améliorer la vie des citoyens contre toutes agressions qu’elles soient physiques, économiques, sociales, virales, climatiques, numériques ?
Où en sommes- nous de la liberté, de l’égalité et de la fraternité ?
La victoire de 1945 a muselé la dictature du moment, mais depuis d’autres sont apparues et des citoyens en quête de solutions improbables sont aujourd’hui prêts à soutenir des politiques populistes comme dernier recours.

La victoire est éphémère et ses conséquences multiples pas automatiquement positives. Rien n’est jamais acquis. En fait, ce vivre ensemble, ce vivre mieux tant recherchés sont des combats toujours renouvelés pour conserver l’équilibre entre l’argent et la poésie, entre l’avidité et la raison, entre les habitudes et le changement, entre la confiance et la méfiance.
– Méfiance envers les autorités, méfiance envers les autres : le « on ne nous a pas tout dit ». Comme sous l’occupation, les confinements successifs ont accentué cette tendance.
– Méfiance envers le “commandement suprême” – jugé pas assez énergique pour incarner la promesse du retour à la soi-disant grandeur perdue de la France depuis la 2e guerre mondiale et la décolonisation -, qui n’a pas su répondre au besoin d’expression des gens
– Défiance envers “les autres”, considérés comme des dangers potentiels ou comme des privilégiés.

Tout est flou et diffus au lieu d’être fixe et concret.

Et dans ce contexte d’incertitude, le numérique prend le dessus et impose sa dictature en nous “libérant” des contacts physiques devenus insécurisants ; en devenant le seul espace sûr pour se réorganiser. Il est devenu vital. Nous avons l’impression d’être plus libres alors que nous sommes de plus en plus surveillés et contrôlés. Mais où est cette liberté pour laquelle tant de soldats, de résistants, de civils sont morts ?

Avec l’entre-soi, le profit, le sectarisme, le manque de renouvellement des dirigeants, le capitalisme de surveillance, le totalitarisme policier, les gens sont à la recherche d’autres solutions collectives et, de façon surprenante, la Commune de Paris qui célèbre ses 150 ans nous ouvre des portes.
Elle n’a connu qu’un printemps éphémère et n’a certes pas eu le temps de décevoir, mais elle marque encore notre imaginaire! En deux mois d’existence, au printemps 1871, elle a créé l’école laïque, gratuite et obligatoire, instauré la séparation de l’Église et de l’État, la liberté d’association, la suspension des loyers ou le droit au travail des femmes .

La Commune nous rappelle, à l’ère des gouvernances mondialisées qui nourrissent l’idée qu’il n’y a pas d’alternative, la pluralité des formes possibles de l’action collective et du politique.

Le temps des cerises est arrivé, l’espoir est en chemin !
Vive la France ! Vive Coaraze !

Monique Giraud-Lazzari
Maire de Coaraze